6 juillet 2021
Par : Audrey-Ann Tully de Cotret

Natifs digitaux : Une nouvelle génération d’apprenants dans nos organisations

Les organisations d’aujourd’hui assistent à l’émergence d’une nouvelle génération dotée de compétences cognitives et de manières d’apprendre très différentes de ses prédécesseurs : les natifs digitaux.

L’idée selon laquelle les technologies et les milléniaux bouleversent les structures, les processus et même la culture au sein des organisations ne date pas d’hier. Cela dit, et dans un contexte économique (numérique) de plus en plus compétitif et innovant, il devient particulièrement important de s’intéresser au comment, et surtout, au pourquoi entourant ces transformations. Pour celles et ceux qui veulent une réponse courte, la voici : la nouvelle génération de talents a radicalement changé. Les talents d’aujourd’hui sont nés dans un monde qui avait déjà entrepris le tournant numérique; un environnement digital omniprésent où le développement humain est marqué par une stimulation numérique constante. En ce sens, leurs expériences de développement ont eu des impacts sur la façon dont ces talents pensent, réagissent et surtout, sur la façon dont ils font des apprentissages en organisation.

Pour la réponse longue, c’est par ici!

D’abord, le terme « natifs digitaux » est emprunté ici des domaines de l’éducation et de l’apprentissage (Prensky, 2001;2012) et fait référence aux élèves natifs du monde numérique qui faisaient leur entrée au sein des établissements scolaires nord-américains autour des années 2000. De façon plus générale, ils sont maintenant communément connus comme les milléniaux. Or, ces mêmes élèves qui ont bousculé les systèmes d’éducation au cours des dernières années ont également pris d’assaut le marché du travail. Résultat pour les organisations? Elles se retrouvent devant la plus grande génération de talents au Canada, c’est-à-dire 27 % de la population totale (Heisz et Richards, 2019), qui s’est développée différemment des générations de talents précédentes et qui, conséquemment, ont développé des capacités cognitives et des méthodes d’apprentissage différentes de celles de leurs prédécesseurs.

Pourquoi pensent-ils différemment?

Cette question peut être adressée de deux façons. D’abord, il faut savoir que le cerveau humain se réorganise de façon continue, et ce, tout au long de notre vie d’enfant à adulte : c’est le concept de neuroplasticité. Autrement dit, il s’agit d’une propriété qui permet au cerveau de réorganiser sa structure et ses fonctions chaque fois que nous faisons un apprentissage et donc, qui permet à l’humain de s’adapter à son l’environnement à travers ses expériences d’apprentissage (Gagnon, 2019). En ce sens, les cerveaux qui connaissent des expériences de développement différentes se développeront différemment. Conséquemment, les cerveaux des natifs digitaux s’organisent différemment de la génération qui les précède, et ce, notamment en raison de la stimulation numérique à laquelle ils ont été (et sont encore) exposés en grandissant (Prensky, 2001;2012).

D’un autre côté, on sait aussi maintenant que les façons de penser et de réagir d’une personne sont également conditionnées en fonction de ses expériences sociales. En effet, l’environnement social et la culture au sein desquels les individus grandissent influencent de façon importante leurs processus de pensée. Ainsi, et alors que les natifs digitaux ont grandi dans l’interactivité et l’instantanéité du numérique, leurs façons de penser, d’interpréter et de comprendre est également différente : elles sont multiples, en se sens où les informations sont traitées de façon rapide et parallèle et non plus de façon séquentielle. Qui plus est, et en raison de leurs expériences sociales virtuelles, les natifs digitaux qui s’installent dans nos organisations ont aujourd’hui besoin d’interactivité, c’est-à-dire de réponses immédiates à leurs actions. En effet, non seulement se sont-ils développés dans un contexte d’interactions immédiates, de multitâches, d’accès rapide et aléatoire où l’activité, la connexion et les réactions sont instantanées, ils se sont habitués à cet environnement évolutif et se sont attachés à ces modes d’apprentissage rapides.

Quels sont les impacts de ces expériences sur leur potentiel?

Évidemment, et dans un contexte économique mondial où la capacité d’analyse situationnelle, l’adaptation, l’innovation et l’interactivité sont les mots d’ordre, ces nouvelles façons de réagir et d’interpréter tombent à point : les natifs digitaux sont non seulement très créatifs, mais sont aussi indépendants, motivés et très réactifs à l’environnement (ils l’ont toujours été !). En effet, les capacités de réflexion stimulées par une exposition répétée aux activités virtuelles et à toutes les formes de médias numériques auxquelles ils ont été habitués comprennent notamment :

  • La pensée représentationnelle, c’est-à-dire comprendre qu’une même situation peut être représentée de différentes manières par différents individus (ou différentes plateformes);
  • Les compétences visuospatiales multidimensionnelles, à savoir la capacité à analyser, comprendre et interpréter visuellement les objets de notre environnement de façon cohérente;
  • La cartographie mentale (ou cognitive), soit notre capacité à organiser et représenter visuellement, souvent en un schéma, notre cheminement de pensée;
  • Le raisonnement inductif, c’est-à-dire la capacité à réaliser des observations, à formuler des hypothèses et à comprendre de façon inductive les normes ou les comportements observés.
  • La multiplication des capacités d’attention et la capacité à réagir plus rapidement aux stimuli, attendus et inattendus.

Il devient donc évident que le développement de cette nouvelle génération a eu (et continue d’avoir) plusieurs implications quant à leurs compétences et à leur façon de développer celles-ci. Enfin, il s’agit de la capacité à traiter l’information de façon parallèle et instantanée, voir simultanée, qui témoigne des nouvelles capacités cognitives propres à cette nouvelle génération que forment les natifs digitaux. Mais attention, il y a aussi un piège : pour soutenir leur apprentissage et leur développement en organisations, il faudra s’assurer, à notre tour, de les stimuler efficacement.

Alors, comment soutenir et stimuler leur développement?

Revenons donc à l’essentiel : la technologie est à la base de tout ce que ces individus font. Or, il n’est pas étonnant que l’une des formes d’apprentissage et de développement capables de répondre aux besoins et exigences d’apprentissage changeants des natifs digitaux soit l’univers numérique : c’est pourquoi l’apprentissage virtuel, en éducation comme en organisation, a gagné en grande popularité au cours des dernières années. En effet, non seulement l’interaction numérique leur rappelle ce contexte de divertissement digital auquel ils se sont attachés, elle permet en ce sens leur engagement, qui optimise à son tour la qualité et aussi la quantité des apprentissages.

Les employés veulent des formations en continu et des opportunités qui correspondent à leurs besoins individuels et à leur horaire. Les solutions d’apprentissage numérique comme le game-based Learning et les moyens informels comme la communauté d’échange, le partage de vidéos et d’articles, le coaching entre pairs sont tous des accélérateurs et répondent parfaitement aux attentes des milléniaux (Charpentier, 2017).

Charpentier, 2017

Ainsi, et avec l’émergence des natifs digitaux au sein des organisations, les entreprises doivent nécessairement repenser leur approche en termes de développement des talents. Elles doivent se doter de nouveaux mécanismes d’apprentissage, capable de s’adapter aux besoins d’une génération de talents changeante et indépendante, tout en s’assurant d’aligner étroitement les intérêts individuels aux objectifs organisationnels. Non seulement ont-ils besoin d’interaction et de flexibilité, les natifs digitaux souhaitent aussi accomplir de grandes choses. Leur ambition doit donc être nourrie de façon stratégique et dynamique, idéalement en fonction des objectifs de l’organisation.

À cet effet, nous pouvons stimuler et motiver l’apprentissage et le développement des individus à travers leurs intérêts et leurs passions : nos nouveaux talents sont incroyablement passionnés et constamment à la recherche d’opportunités leur permettant de se développer. Ils ont tous des aspirations et des intérêts différents, et attendent que nous les découvrions afin de leur fournir des façons adaptées de les poursuivre. Il nous faudra donc, comme organisation, arrimer nos objectifs organisationnels aux passions et aux intérêts de nos talents : je crois fermement que l’apprentissage vient de la passion, et tant que l’on est passionné, on continuera à apprendre.

À retenir? Rapidité, interactivité, flexibilité.

 
Audrey-Ann Tully de Cotret, M.SC., PHD (CDT)

Chef de pratique adjointe, Académie

Références

Caine, R. N. & Caine, G. (1991). Making connections: Teaching and the Human Brain. Massachusetts: Addison-Wesley.

Charpentier, J. (2017). Cinq tendances fortes en développement organisationnel. Récupéré le 28 juin 2021 de : https://ordrecrha.org/ressources/developpement-organisationnel/2017/03/cinq-tendances-fortes-en-developpement-organisationnel

Gagnon, E. (2019). La neuroplasticité au service de l’apprentissage. Récupéré le 28 juin 2021 de : https://aqep.org/wp-content/uploads/2019/08/La-neuroplasticite-au-service-de-lapprentissage.pdf

Heisz, A. & Richards, E. (2019). Bien-être économique des générations de jeunes Canadiens : les milléniaux sont-ils en meilleure ou en moins bonne situation que les autres? Récupéré le 28 juin 2021 de : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-626-x/11-626-x2019006-fra.htm

Prensky, M. (2001). Digital Natives, Digital Immigrants. On the Horizon, 9(5), 1-6.

Prensky, M. (2001). Do They Really Think Differently? On the Horizon, 9(6), 1-9.

Wentworth, D. (2014). 5 Trends for the Future of Learning and Development. Récupéré le 28 juin 2021 de: https://trainingmag.com/5-trends-for-the-future-of-learning-and-development/