7 septembre 2011

Gestion des talents et potentiel (3)

Le deuxième article de cette série sur la gestion des talents et le potentiel était consacré à définir le talent et le potentiel. Ce troisième article s’attardera sur la question de l’identification des employés à haut potentiel. En effet, les prochains paragraphes décriront sommairement les caractéristiques individuelles des employés à haut potentiel ainsi que les étapes nécessaires à l’identification des joueurs « A ».

L’identification des employés à haut potentiel

Comment faire pour identifier les employés à haut potentiel? Une partie de la réponse réside dans les caractéristiques individuelles à prendre en considération. À l’instar du débat concernant les définitions, il n’existe toujours pas de consensus en ce qui concerne les caractéristiques individuelles à prendre en considération lors des activités de sélection des hauts potentiels. En effet, il existe très peu de modèles s’attardant à la question et encore moins de modèles génériques, compte tenu du fait qu’il soit crucial de se questionner sur l’objet du potentiel. En fait, la plupart des modèles sont développés par des firmes de consultation et ne font pas l’objet de recherches scientifiques (Silzer et Church, 2009). Cependant, Silzer et Church (2009) ont effectué une synthèse conceptuelle de la notion de potentiel à partir d’une dizaine de modèles publiés ou présentés lors de rencontres professionnelles. Ils intègrent les différentes caractéristiques individuelles à considérer lors de l’identification des hauts potentiels à l’intérieur de trois principaux types de dimensions : les dimensions fondamentales, les dimensions liées à la croissance professionnelle et les dimensions liées à la carrière.

Dimensions fondamentales

Les dimensions fondamentales sont constantes et stables; elles sont peu susceptibles de se développer ou de changer en fonction des situations, du temps et des expériences (Silzer & Church, 2009). Le style cognitif (p.ex. pensée conceptuelle ou stratégique, aptitudes cognitives et capacité de prise en charge de situations complexes et ambigües) ainsi que la personnalité (p.ex. sociabilité, habiletés interpersonnelles, dominance, stabilité émotive et résilience) constituent des dimensions fondamentales.

Dimensions liées à la croissance

Les dimensions liées à la croissance sont des dimensions qui facilitent ou entravent la croissance et le développement à l’intérieur d’autres domaines. Ce sont des dimensions qui sont relativement stables à travers les situations, mais qui s’intensifient lorsqu’un individu évolue dans un milieu où il est appuyé et encouragé, lorsqu’il a un intérêt marqué pour un domaine particulier et qu’il a l’occasion d’approfondir ses connaissances dans ses champs d’intérêt (Silzer & Church, 2009; Morin, 2010). L’apprentissage (p.ex. l’adaptabilité, l’orientation vers l’apprentissage et l’ouverture aux commentaires et à la rétroaction) ainsi que la motivation (p.ex. énergie, ambition envers la carrière) constituent deux de ces dimensions.

Dimensions liées à la carrière

Les dimensions liées à la carrière sont les premiers indices des compétences professionnelles futures. Il est possible de retrouver dans ces dimensions le rendement actuel (p.ex. dossier de rendement et expériences de travail), les connaissances (p.ex. savoir et compétences sur le plan technique et fonctionnel), les valeurs (p.ex. compatibilité des valeurs personnelles avec celles de l’organisation, valeurs et normes adaptées à la carrière) ainsi que les qualités de gestionnaires (p.ex. capacité de gérer le changement, capacité de gérer le personnel, capacité de développer autrui, influence positive sur autrui, remise en question constructive de l’ordre établi).

Bien que le modèle de Silzer et Church (2009) constitue une synthèse pratique de la littérature sur le potentiel, plusieurs questions demeurent : est-ce qu’un individu doit posséder l’ensemble des caractéristiques et dimensions présentées afin d’être un haut potentiel? Est-ce que certaines dimensions sont plus essentielles que d’autres? Il semblerait que les dimensions fondamentales et celles liées à la croissance soient des composantes communes du potentiel (Silzer & Church, 2009). En d’autres mots, tous les individus à haut potentiel détiendraient ces caractéristiques. Cependant, ce ne serait pas tous les employés talentueux qui démontreraient les dimensions liées à la carrière; ces dimensions dépendraient davantage des différents bassins de potentiel (Silzer & Church, 2009). Bref, il est nécessaire de se questionner, tel que mentionné auparavant, sur l’objet du potentiel avant de déterminer la pertinence des différentes dimensions pour l’identification des employés « A ».

Parmi l’ensemble des caractéristiques et des dimensions soulevées, aucune n’est suffisante en elle-même afin d’identifier un individu comme « haut potentiel ». Cependant, plusieurs organisations ont recours à une seule source d’information pour prédire le succès futur d’un individu : sa performance passée (Robinson, Fetters, Riester & Bracco, 2009). Ces organisations confondent la performance et le potentiel de leurs employés. Les gestionnaires se doivent d’éviter de basculer dans le paradoxe rendement/potentiel (Morin, 2010; Mone, Acritani & Eisinger, 2009). Alors que le rendement actuel d’un employé représente un indice valable, il s’agit d’une caractéristique insuffisante pour analyser le potentiel d’un employé (Robinson et coll., 2009). Or, l’observation des comportements passés des employés est nécessaire lors de l’évaluation du talent de l’employé. Par comportements passés, les auteurs s’entendent pour dire qu’un individu se doit d’être observé sur une longue période à l’intérieur d’une multitude de situations associées à son travail (Morin, 2010; Robinson et coll., 2009). Bref, l’identification du potentiel ne repose pas sur une seule réalisation grandiose. La section suivante propose une marche à suivre pour identifier les employés talentueux sans tomber dans le paradoxe rendement/potentiel.

Étapes suggérées pour l’identification des employés à haut potentiel

Robinson et ses collaborateurs (2009) poursuivent la réflexion amorcée par Silzer et Church (2009). Ils proposent un modèle pour aider les dirigeants à orienter les discussions et à prendre des décisions qui vont au-delà du rendement. Plus précisément, ils présentent une pyramide du potentiel (Robinson et coll., 2009). Cette pyramide représente une hiérarchie des étapes décisionnelles. Selon la logique des auteurs, les dirigeants se posent les mêmes questions pour évaluer chacun des employés. Si un employé respecte ou dépasse les critères d’une étape, ce dernier passe à l’autre. Lorsque l’employé ne satisfait pas aux exigences d’une étape, des suggestions lui sont offertes afin qu’il puisse se développer.

La pyramide du potentiel selon Robinson et ses collaborateurs (2009)

Étape 1 : Mission, valeurs et culture organisationnelle

 La base de la pyramide représente la mission sous-jacente de l’organisation, ses valeurs et sa culture. À cette étape, on évalue dans quelle mesure le comportement d’un employé reflète celles-ci (Robinson et coll., 2009). L’adéquation entre les valeurs et la culture de l’individu et celles de l’organisation prend de plus en plus d’importance dans le monde du travail et un individu talentueux se doit d’illustrer les valeurs de l’entreprise et de contribuer à sa culture (Garrow & Hirsh, 2008 ; Ostroff & Judge, 2007).

Étape 2 : Rendement

La deuxième étape consiste en l’évaluation du rendement de l’employé dans son rôle actuel, mais aussi dans ses fonctions précédentes. À cette étape, il est nécessaire de se demander a) si le rendement de l’employé dépasse constamment les attentes et ses obligations envers l’organisation; b) si l’employé appuie ses collègues de travail ; c) si l’employé a le soutien de ses pairs et d) si l’employé exerce une influence positive sur les membres de l’organisation. Le candidat qui répond à ces critères « procédera » à la prochaine étape.

Étape 3 : Indicateurs des employés à haut potentiel

À cette étape, l’individu est évalué en fonction de plusieurs indicateurs supplémentaires des employés à haut potentiel (Robinson et coll., 2009). Bref, c’est à cette étape que les bassins de haut potentiel (potentiel pour quoi ?) se distinguent. Ainsi, les caractéristiques choisies pour un bassin spécifique seront différentes d’un autre à l’intérieur de la même organisation (Silzer & Church, 2009). Par exemple, un bassin d’individus talentueux pour des postes de direction générale ou de cadres supérieurs tiendra compte, à cette étape, de compétences comme le leadership mobilisant, le sens politique et la vision stratégique alors qu’un bassin d’individus talentueux pour des postes en recherche et développement mesurera davantage l’innovation (Graen, 2009 ; Henson, 2009).

Étape 4 : Les employés à haut potentiel

Les individus qui sont évalués favorablement à l’ensemble des étapes précédentes sont considérés comme étant des employés à haut potentiel (Robinson et coll., 2009). Ainsi, la quatrième et dernière étape consiste à créer un plan d’action pour ces derniers afin de favoriser leur avancement et de leur fournir des opportunités pour développer leurs capacités (Robinson et coll., 2009).

Le modèle de Robinson et ses collaborateurs (2009) est pratique puisqu’il réduit le risque de faire une évaluation des employés fondée sur des jugements rapides ou des premières impressions. En appliquant systématiquement le même procédé à l’ensemble des employés, il devient également plus facile de dépister des talents parmi les employés qui ont une moins forte personnalité et sont plus réservés (Morin, 2010).  De plus, le modèle est cohérent avec les suggestions émises dans la littérature. En effet, il est recommandé, dans la gestion des talents, de communiquer à l’ensemble des employés leur classement et de leur fournir des pistes de développement afin que tout un chacun s’améliore (Dominick & Gabriel, 2009 ; Yost & Chang, 2009). Ainsi, en faisant valoir à tous que le potentiel n’est pas une propriété immuable et qu’il est réévalué à l’occasion, l’entreprise minimise la démoralisation de certains employés qui ne seraient pas vus comme étant talentueux (Mone et coll., 2009). De ce fait, il est du pouvoir de l’employé « C » de devenir un « B » et de l’employé « B » de devenir un « A » (Yost & Chang, 2009). Enfin, une autre force du modèle consiste en la base commune qu’il offre aux gestionnaires et aux superviseurs afin d’identifier les employés à haut potentiel (Heslin, 2009). La compréhension commune est à la base d’un système de gestion des talents efficace (Silzer & Church, 2009).

Le quatrième et dernier article de cette série proposera des réflexions sur l’approche de gestion des talents et les modèles proposés dans les premiers articles.

Références

Dominick, P.G., & Gabriel, A.S. (2009). Two sides to the story : an interactionist perspective on identifying potential.Industrial and Organizational Psychology, 2, 430-433.

Garrow, V., & Hirsh, W. (2008). Talent management: issues of focus and fit. Public personnel management, 4, 389-402.

Graen, G. (2009). Early identification of future executives: a functional approach. Industrial and Organizational Psychology, 2, 437-441.

Helsin, P.A. (2009). “Potential” in the eye of the beholder: the role of managers who spot rising stars. Industrial and Organizational Psychology, 2.

Henson, R.M. (2009). Key practices in identifying and developing potential. Industrial and Organizational Psychology, 2, 416-419.

Mone, E.M., Acritani, K., & Eisinger, C. (2009). Take it to the roundtable. Industrial and Organizational Psychology, 2, 425-429.

Morin, D. (2010). Rendement et potentiel élevés : essentiels à la gestion des talents. Consulté surwww.portailrh.org/effectif/fiche.aspx?p=403222.

Ostroff, C., & Judge, T.A. (2007). Perspectives on organizational fit. New Jersey : Lawrence Erlbaum Associates.

Robinson, C., Fetters, R., Riester, D., & Bracco, A. (2009). The paradox of potential : A suggestion for guiding talent management discussions in organisations. Industrial and Organizational Psychology, 2, 413-415.

Silzer & Church. (2009). The pearls and perils of identifying potentiel. Industrial and Organizational Psychology, 2, 377-412.

Yost, P.R., & Chang, G. (2009). Everyone is equal, but some are more equal than others. Industrial and Organizational Psychology, 2, 442-445.