10 août 2011

Potentiel et gestion des talents

Depuis les débuts de la société salariale, de la division du travail et de la hiérarchie organisationnelle vers la fin du 19e siècle, la gestion des ressources humaines n’a pas cessé d’évoluer. Dès le début du 20e siècle, un changement est observé par l’avènement de la gestion scientifique du travail (travaux de Frederick Taylor) et des pratiques visant le bien-être des employés (Saba, Dolan, Jackson & Schuler, 2008).  La transformation se poursuit en 1950-1960-1970 par l’amélioration des relations de travail et une hausse des activités centrées sur la dotation (Saba et coll., 2008). Vers la fin du 20e siècle, deux approches émergent : la gestion stratégique des ressources humaines et la gestion des compétences. Enfin, depuis les dix dernières années, c’est-à-dire de 2001 à 2011, la gestion des ressources humaines s’axe de plus en plus sur les compétences et sur la gestion des talents (Foucher, 2010).

Bien que la gestion des talents soit présentement très à la mode, il n’existe pas de définition concise ou uniforme du talent ou de cette pratique de gestion (Morin, 2010). Nous vous proposons donc une série de quatre articles qui paraîtront sur le blogue d’EPSI dont le but sera d’éclairer les lecteurs sur ce thème, en statuant autant sur les avancées pratiques que scientifiques dans le domaine. D’abord, dans le premier article, le contexte dans lequel la gestion des talents émerge sera explicité et l’approche de gestion des talents sera présentée en fonction de sa définition et  de ses objectifs. Dans le second article, les notions de talent et de potentiel, concepts clés, seront explorées. Le troisième article abordera plusieurs points cruciaux à prendre en considération lors de l’identification des employés à haut potentiel. Finalement, le quatrième article présentera une critique de l’approche et quelques commentaires des auteurs.

Contexte et définition de la gestion des talents

En 2001, le livre « The War for Talent » fait son apparition sur les tablettes des bibliothèques nord-américaines. Écrit par trois consultants de la firme américaine McKinsey & Company, ce livre jette les jalons d’une nouvelle approche de gestion : la gestion des talents (Silzer & Church, 2009). Cette nouvelle approche apparaît afin d’aider les organisations à s’adapter à la nouvelle réalité socio-économique mondiale (Michaels, Handfield-Jones & Axelrod, 2001).

Ancienne réalitéNouvelle réalité
Les personnes ont besoin des organisations.Les organisations ont besoin des personnes.
La technologie, les capitaux et la géographie sont des avantages concurrentiels.Les employés talentueux sont les avantages concurrentiels.
Les emplois sont rares.Les individus talentueux sont rares.
Les employés sont loyaux et les emplois sont sécuritaires.Les employés sont mobiles et leur engagement est à court terme.
Les employés acceptent les conditions qui leur sont offertesLes employés demandent beaucoup plus.

 

Compte tenu de ce nouveau contexte où les employés talentueux sont à la fois rares et constituent les avantages concurrentiels, Michaels, Handfield-Jones et Axelrod (2001) sont d’avis qu’une organisation doit adopter cinq incontournables pour se démarquer. Premièrement, l’organisation doit adopter une culture du talent à tous les niveaux de gestion. En d’autres mots, l’organisation doit a) avoir la conviction qu’une meilleure performance de l’entreprise passe par une meilleure gestion des employés talentueux; b) faire de la gestion des talents une priorité à l’intérieur de l’organisation et c) impliquer tous les niveaux de gestion dans la détection des employés talentueux (Boudreau & Ramstad, 2004). Deuxièmement, l’organisation se doit de développer une image de marque gagnante pour attirer les employés performants (Kim, 2008). Troisièmement, il est nécessaire, pour l’organisation, d’utiliser les meilleures pratiques au niveau du recrutement, de l’évaluation et de la sélection des « talents » afin d’être en mesure d’identifier adéquatement les personnes clés. Quatrièmement, il est essentiel d’offrir d’excellentes opportunités et de bons programmes de développement étant donné qu’il est nécessaire de favoriser pleinement le développement des individus talentueux. Cinquièmement, une organisation désirant instaurer une gestion des talents se doit de développer une structure de gestion des ressources humaines parallèle. Étant donné que les employés talentueux offrent un avantage concurrentiel à l’organisation, ces employés se doivent d’être traités différemment afin de les conserver au sein de l’organisation, notamment par de plus grandes opportunités de développement (Foucher, 2010).  Ainsi, la gestion des talents est un ensemble intégré des processus, des programmes et des normes culturelles d’une organisation qui est implanté pour attirer, développer, intégrer et conserver les talents afin d’atteindre ses objectifs organisationnels et de répondre à ses futurs besoins (Silzer & Dowell, 2010).

Les employés et la gestion des talents

Selon l’approche de la gestion des talents, il existe trois types d’employés : A, B et C (Michaels et coll., 2001). Les employés sont classés selon leur potentiel à ajouter une valeur à l’organisation (Berger, 2004). Les tenants de cette approche affirment que la main-d’œuvre se doit d’être différenciée en considérant la contribution relative des membres à l’atteinte des objectifs stratégiques d’une organisation (Becker, Huselid & Beatty, 2009). En d’autres termes, tous les employés ne sont pas égaux et doivent, par conséquent être traités différemment. D’abord, les joueurs « A » sont les employés talentueux ou à haut potentiel (Lewis & Heckman, 2006). Ces derniers démontrent des réalisations supérieures, inspirent d’autres personnes à produire des résultats supérieurs et reflètent les valeurs et les compétences jugées centrales par l’organisation (Foucher, 2010; Reilly, 2008). Ensuite, les employés « B », que l’on retrouve en grande majorité à l’intérieur des entreprises, satisfont aux attentes de l’organisation (Foucher, 2010). Enfin, les joueurs « C » représentent les employés qui ne performent pas à la hauteur des attentes (Berger, 2004). Différents auteurs sont d’avis que plus une organisation possède d’employés talentueux, plus elle sera performante (Huselid, Beatty & Becker, 2005). Cependant, qu’est-ce qu’un employé talentueux? Qu’est-ce que le talent? C’est ce que nous verrons dans le prochain article de cette série.

Philippe Longpré, Ph.D. Cdt.

Marilyne Pigeon, Ph.D. Cdt.

Références

Becker, B.E., Huselid, M.A., & Beatty, R.W. (2009). The differentiated workforce: Transforming talent into strategic impact.

Berger, L.A. (2004). « Creating a talent management system for organizational excellence», dans L.A. Berger et D.R. Berger (éd.), The Talent Management Handbook, New York, McGraw-Hill, p.1-49.

Boudreau, J.W., & Ramstad, P.M. (2004). Talentship and the evolution of human resource management: from « professional practices » to « strategic talent decision science ». Los Angeles : Center for effective organisations.

Foucher, R. (2010). Gérer les talents et les compétences : principes, pratiques, instruments. Tome 1 : Fondements de la gestion des talents et des compétences. Montréal : Éditions nouvelles.

Huselid, M.A., Beatty, R.W., & Becker, B.E. (2005). « A Players » or « A Positions”? The strategic logic of workforce management. Harvard Business Review, December, 1-8.

Kim, P.S. (2008). How to attract and retain the best in government. International review of administrative sciences, 4, 637-652.

Lewis, R.E., & Heckman, R.J. (2006). Talent management : a critical review. Human resource management review, 16, 139-154.

Michaels, E., Handfield-Jones, H., Axelrod, B. (2001). The War for Talent. Boston : Harvard Business School Press.

Morin, D. (2010). Rendement et potentiel élevés : essentiels à la gestion des talents. Consulté surwww.portailrh.org/effectif/fiche.aspx?p=403222.

Reilly, P. (2008). Identifying the right course for talent management. Public personnel management, 4, 381-388.

Saba, T., Dolan, S.L., Jackson, S.E. & Schuler, R.S. (2008). La gestion des ressources humaines: tendances, enjeux et pratiques actuelles, 4e édition. Québec : ERPI.

Silzer & Church. (2009). The pearls and perils of identifying potential. Industrial and Organizational Psychology, 2, 377-412.

Silzer & Dowell (2010). Strategy driven talent management: A leadership imperative. New York: Jossey-Bass