12 décembre 2022
Par : Benjamin Lafrenière-Carrier

L’art de dire merci

Dans un contexte de concurrence accrue, de pressions financières associées à l’inflation et où la pénurie de main-d’œuvre implique que les employés ont plus que jamais la possibilité de choisir leur employeur, la question de la reconnaissance des employés n’a jamais été autant d’actualité. Il s’agit d’un levier qui permet à une organisation de se démarquer sans pour autant augmenter de façon importante les dépenses associées à sa masse salariale. Selon Brun et Dugas (2008), cette pratique nécessaire pour le bien-être des employés de tous les niveaux implique une interaction ancrée dans le respect au sein de laquelle est communiquée, avec ou sans récompense associée, une appréciation de la personne elle-même, des résultats qu’elle obtient, des pratiques professionnelles qu’elle adopte ou de l’engagement au travail qu’elle démontre (Brun et Dugas, 2008). Selon plusieurs, il s’agit d’ailleurs d’un important moteur d’engagement et de motivation au travail qui peut à son tour avoir une influence favorable sur la performance organisationnelle (Brun et Dugas, 2008; Luthans, 2000; Masri, 2019).  

L’activation de ce levier n’est toutefois pas aussi simple que de servir quelques compliments génériques à chacun des employés. Pour que la reconnaissance ait un impact, encore faut-il que l’employé soit en mesure et disposé à bien la recevoir et l’apprécier, ce qui fait inévitablement appel à une approche contextualisée. En ce sens, afin de guider les efforts déployés, quelques réflexions fondées sur des champs d’activités adjacents sont proposées.   

Une question de besoins à combler  

Une première approche implique de considérer la reconnaissance comme une composante de la rémunération globale, qui devient alors un élément qui contribue à la proposition de valeur qu’une organisation est en mesure d’offrir à ses employés. Ainsi articulée, cette pratique s’insère à l’intérieur d’un système plus large qui doit également être considéré, de surcroît si l’on considère les différentes composantes de la rémunération sont appelées à répondre à des besoins distincts (au sens de Maslow, 1943). Autrement dit, même si elle ne permet pas de combler certains besoins de bases qui doivent plutôt être ciblés par d’autres composantes de la rémunération globale, la reconnaissance permet de répondre à certains besoins psychologiques. C’est d’ailleurs ce qu’ont observé certains auteurs, qui associent reconnaissance, impacts psychologiques positifs et bien-être (Merino et Privado, 2015). 

Figure 1 : Reconnaissance et besoins (inspiré de Maslow, 1943) 

Utilité marginale décroissante 

Bien qu’elle soit essentiellement de nature intangible, la reconnaissance n’échappe pas non plus au concept économique de l’utilité marginale décroissante (Horowitz, List et McConnell, 2007). Selon celui-ci, chaque consommation supplémentaire d’un bien ou d’un service procure un niveau de satisfaction inférieur par rapport à la consommation précédente, dont en voici un exemple :   

George a faim. Vous lui offrez un plat de petits fruits et George en est reconnaissant. Vous lui offrez un second plat de petits fruits et il apprécie puisqu’il a encore faim. Vous lui offrez un troisième plat de petits fruits et il est content, mais n’apprécie plus autant que pour les deux premières poignées. (…) vous lui offrez un vingtième plat de petits fruits, qui ne lui apporte plus aucune satisfaction parce qu’il n’a plus faim.   

Dans le cas de la reconnaissance, le premier compliment que reçoit un employé, surtout s’il vient répondre à l’un de ses besoins, est sujet à lui faire grand plaisir et par conséquent aura une influence importante sur son moral. Toutefois, si vous lui offrez exactement le même compliment ou encore la même forme de reconnaissance chaque jour pendant un mois, la satisfaction de le recevoir pourrait se transformer en irritant.   

Une reconnaissance adaptée 

Comment peut-on alors bien doser et aligner la reconnaissance offerte à un employé? Il n’y a malheureusement pas de recette universelle et pour que l’alignement et le dosage soient aussi justes que possible, il faut inévitablement apprendre à connaitre la personne et ses besoins. En fait, à l’instar des différentes approches qui peuvent être utilisées pour mobiliser un employé, certaines formes de reconnaissances seront mieux accueillies par un employé parce qu’elles répondent mieux à ses valeurs et à son identité profonde. Autour de quel sujet (travail, personnes, efforts, résultats), à l’aide de quel médium et de quelle façon doit-on articuler une reconnaissance donnée? La réponse dépend largement des préférences du destinataire!   

Au bout du compte, l’exercice dépasse largement les pratiques formelles ou le processus mis en place pour la gestion de la performance. Il se transmet à travers la relation entre un superviseur et son employé (ou même entre deux employés) et, de façon comparable aux meilleures pratiques en leadership, doit avoir une forme et une fréquence qui sont adaptées à la situation et au destinataire. Il s’agit d’ailleurs d’une relation qui peut difficilement s’accélérer : on doit prendre le temps d’apprendre à connaître l’autre pour ensuite comprendre ce qui fonctionnera le mieux avec elle en matière de reconnaissance si on souhaite que le tout ne soit pas perçu comme une manœuvre artificielle et dénuée de l’authenticité qui lui donne toute sa valeur.   

 
Benjamin Lafrenière-Carrier, B.A.A., CRHA

Consultant principal en gestion des talents chez EPSI
Candidat au doctorat en Relations Industrielles à l’Université du Québec en Outaouais

Références

Brun, J. P. et Dugas, N. (2008). An analysis of employee recognition: Perspectives on human resources practices. The International Journal of Human Resource Management, 19(4), 716-730.

Horowitz, J., List, J. et McConnell, K. E. (2007). A test of diminishing marginal value. Economica, 74(296), 650-663.

Luthans, K. (2000). Recognition: A powerful, but often overlooked, leadership tool to improve employee performance. Journal of Leadership Studies, 7(1), 31-39.

Masri, N. E. et Suliman, A. (2019). Talent management, employee recognition and performance in the research institutions. Studies in Business & Economics, 14(1).

Merino, M. D. et Privado, J. (2015). Does employee recognition affect positive psychological functioning and well-being?. The Spanish journal of psychology, 18.