23 janvier 2013

Je négocie, il négocie, elle négocie…

Négocier. Défendre son point. Convaincre. Persuader. Trouver un terrain d’entente… Ces expressions déclenchent une étincelle d’intérêt chez certaines personnes, alors qu’elles en effrayent d’autres. Comme dans tout domaine de la vie, la négociation fait partie de ces intérêts personnels qui sont différents entre les personnes. Certains vivent pour parlementer, essaient de négocier chaque aspect de leur vie, alors que d’autres auront plutôt tendance à fuir ce genre de situations ou en tout cas à les affronter avec réticence.

De nombreuses recherches se sont intéressées à l’influence des différences individuelles sur le comportement lors d’une négociation. Une des différences individuelles les plus étudiées dans la négociation reste la différence entre les sexes. En effet, nous avons tendance à percevoir les hommes comme meilleurs négociateurs que les femmes, que ce soit à cause des stéréotypes ancrés dans la culture, véhiculés par les films ou à cause d’expériences personnelles.

Dans le présent article, nous allons présenter des résultats de recherche s’intéressant aux différences entre les genres au niveau d’éléments de la négociation (position de départ, compromis et importance de la relation), les mettre à la lumière de la menace du stéréotype, parler de la négociation salariale et enfin donner quelques solutions proposées par la littérature pour réduire ces différences.

Les résultats présentés représentent les différences en général, il est donc toujours nécessaire de garder en tête que certaines personnes des deux sexes ne se comportent pas tel que décrit.

Position de départ

Certains auteurs ont étudié des processus de négociation et ont remarqué que les femmes ont tendance à demander moins que les hommes. Ceci peut s’expliquer par un manque de confiance en soi ou pour justement préserver la relation. Au contraire, les hommes ont généralement une meilleure position de départ, ils demandent exactement ce qu’ils souhaitent, voire plus.
Afin de pallier à cette situation, les femmes devraient donc davantage réfléchir avant la négociation à ce qu’elles souhaitent en retirer. Cela permet de se positionner à tout moment de la négociation par rapport aux souhaits initiaux et aide à réfréner la tendance aux compromis et à trop céder à  l’autre partie.

Compromis et importance de la relation

Les femmes ont tendance à être plus égalitaires que les hommes dans la négociation et elles sont plus sensibles au contexte, en particulier si celui-ci implique des relations à long terme. Par conséquent, elles vont davantage essayer de trouver des compromis ou des solutions qui contentent un peu chacune des parties. Le désir que chacun obtienne une partie de ce qui est souhaité caractérise la plupart des femmes en processus de négociation, ce qui va les pousser à chercher le compromis.

Les femmes souhaitent également garder un bon contact avec leur partenaire de négociation. Elles n’auront donc pas tendance à considérer l’autre partie comme un adversaire et éviteront de les berner, car elles accordent de l’importance aux relations, qu’elles ne souhaitent pas briser pour toujours. En général, les hommes ont, quant à eux, plus tendance à se préoccuper uniquement de leurs intérêts sur le moment et de ce qu’ils vont retirer de la négociation, sans vouloir absolument garantir une relation à long terme.

La menace du stéréotype

En dehors des différences de comportement entre les hommes et les femmes, un élément exerce une influence importante sur le comportement lors de la négociation : la menace du stéréotype. Les stéréotypes ont pour but premier de nous permettre de former des attentes sur les gens avec qui nous interagissons. Cependant, ces attentes ont parfois des impacts négatifs sur l’image que nous avons des gens et de la manière qu’ils devraient agir. Ce phénomène se nomme la menace du stéréotype.

Un stéréotype très fort attaché aux femmes est celui de la mère qui prend soin de ses enfants et par extension, des autres. La menace de ce stéréotype en particulier influence la perception que nous avons des femmes dans la négociation, dans le sens qu’une femme qui négocie pour elle-même sera mal considérée. On attend des femmes qu’elles fassent attention au bien-être de leur entourage et ainsi qu’elles prennent en considération les intérêts des autres plutôt que leurs propres intérêts. Lorsqu’elles ne se conforment pas à ces attentes, la société le leur fait ressentir (on les considère comme arrivistes, sans pitié etc.), ce qui les retiendra d’agir ainsi à l’avenir.

En définitive, non seulement les femmes ont tendance à faire davantage attention aux intérêts des autres dans la négociation, mais lorsqu’elles négocient pour leurs propres intérêts, le feedback qu’elles reçoivent de leur entourage les dissuade de le refaire. La menace du stéréotype empêche donc l’émergence de comportements qui seraient bénéfiques pour les femmes dans le contexte de la négociation.

Cependant, lorsque la situation de négociation requiert des femmes qu’elles négocient pour le bien des autres, elles obtiendront un meilleur résultat, car leur comportement ira dans le sens de leurs dispositions et des stéréotypes, ne laissant que leur personnalité, leurs préférences et d’autres paramètres personnels pour les entraver dans ce processus.

De nombreux stéréotypes de genres peuvent être appliqués à la négociation et par conséquent avoir une influence sur le comportement des négociateurs hommes et femmes à travers la menace du stéréotype. Prenons par exemple la compétitivité. Dans le cas d’une négociation compétitive, les hommes sont plus confiants envers leurs habiletés de négociation et plus performants que les femmes, car la compétition est un comportement typiquement stéréotypé masculin. Un homme qui ne se bat pas dans une telle situation sera jugé par son entourage, ce qui l’amènera à chercher à se dépasser.

Négociation salariale

La négociation salariale a un gros impact sur la rémunération reçue pour un poste de travail. Dans ce cas, nous ne parlons pas de la négociation annuelle du salaire, mais uniquement de celle entourant le premier salaire obtenu à l’entrée dans le marché du travail. Prenons un exemple, tiré du livre Women Don’t Ask, de Babcock et Laschever : deux personnes de 22 ans se voient offrir leur premier poste. Une personne A négocie son premier salaire annuel à 30 000 $, alors qu’une personne B ne le négocie pas et accepte le salaire offert, soit 25 000 $. Considérant que les deux salaires augmentent de 3 % par année, la différence entre les deux à l’âge de 65 ans s’élèvera à 18 000 $ ! Aussi, si la personne A avait mis chaque année cette différence sur un compte, celui-ci s’élèverait à 785 000 $ !

Ceci convainc donc de la nécessité de négocier son premier salaire. Mais des études ont montré que même lorsque les femmes négocient leur rémunération, elles demandent un montant plus bas que les hommes. Les causes peuvent être multiples : mauvaise évaluation du salaire du poste, manque de confiance en soi, ne pas oser demander, peur d’avoir l’air présomptueux, peur de la négociation, etc. Afin de s’assurer de demander un salaire adéquat à sa fonction, il est possible d’appliquer une règle d’or : connaître sa valeur, la prouver pendant la négociation et attendre un salaire plus élevé que les autres. Ne vous inquiétez pas, vous n’allez pas être mal jugé si vous demandez un salaire un peu plus élevé que la moyenne, au contraire, votre interlocuteur sera intrigué et souhaitera savoir si vous valez vraiment cet argent. Profitez-en !

Au vu des différences entre les comportements lors de la négociation entre les genres vues auparavant, nous pouvons considérer que le manque de négociation de la part des femmes explique une partie de la différence de salaires entre les hommes et les femmes.

Des solutions ?

Plusieurs études se sont attachées à chercher des moyens afin de diminuer les différences de genre dans la négociation. Ils ont remarqué qu’une formation en self-management permettait aux femmes d’obtenir un salaire équivalent à celui des hommes, car ce type de formation augmente leur sentiment d’avoir un contrôle sur le résultat de la négociation, ce qui, au final, permet de contrer la menace du stéréotype. Ce type de formation permet également d’apprendre à mieux évaluer ses besoins et à s’assurer d’avoir une bonne position de départ et d’essayer d’en retirer un maximum.

Il est également nécessaire de faire comprendre aux femmes l’importance de la négociation en milieu professionnel, car elle peut les aider à modifier leur condition professionnelle. Voici quelques conseils : bien se préparer (connaître ses priorités et leur importance), collecter des informations sur les ressources négociables et comprendre le processus de négociation (son propre comportement et celui de l’autre) afin de le maîtriser (préparer des réponses, s’engager dans des jeux de rôle). Et surtout, il faut faire attention à ne pas trop accorder d’importance à la relation avec son partenaire de négociation, surtout si cette relation ne durera pas à long terme.

Sophie Nidegger, M.Sc.(c)

Références

Babcock, L, & Laschever, S. (2003). Women Don’t Ask. Princeton University Press: New Jersey.
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