30 août 2022
Par : Audrey-Ann Tully de Cotret

La rétention des connaissances… Comment l’assurer ?

Si l’on vous demandait de regrouper les atouts les plus importants pour une organisation, quels éléments se trouveraient au haut de la liste? Faisons l’exercice! Avant d’aller plus loin, prenez un bref instant pour y réfléchir.  

Et puis? En fait, et considérant que la moindre pratique en organisation ne peut fonctionner (du moins efficacement) sans connaissances – il est juste de classer ces dernières au haut de la liste. Les aviez-vous retenues? Voyons d’abord comment leur essentialité s’articule dans le contexte du travail – vous jugerez par la suite! 

Connaissances organisationnelles 

En fait, la connaissance en soi va bien au-delà de l’information et se comprend en tant que potentialité d’agir à partir d’informations (qui elles, sont constituées de données): il s’agit d’un instrument par rapport auquel on attribue des significations aux objets/sujets qui nous entourent en organisation (Pyrko et al., 2017). Ces significations, à leur tour, nous aident à agir. Lorsqu’un individu utilise ses connaissances dans l’exercice de sa pratique, on parle alors de savoir-faire; de compétences dites pratiques. Au sein des organisations, la connaissance représente ce qui permet de créer des produits ou des services, et c’est la compétence qui nous permet de mobiliser ou d’opérationnaliser cette connaissance (Dosi et al., 2008). En ce sens, les connaissances individuelles constituent un savoir-faire intégré dans les activités de toute organisation, et s’avèrent un atout compétitif dont la valeur est inestimable dans une économie comme la nôtre, c’est-à-dire une économie du savoir (Chartrand-Beauregard et al., 2005; LaFayette et al., 2019; Laroche, 2002; Rezny et al., 2019).  

Protéger son savoir organisationnel

Alors que les connaissances sont essentielles pour la profitabilité, la croissance, mais aussi pour la survie des organisations, il devient fondamental de mettre en place des stratégies visant à assurer la rétention du savoir organisationnel. En effet, la continuité du savoir en organisation est constamment menacée : le roulement de personnel, les déploiements, le recours à des ressources externes, la résistance à l’apprentissage, les interruptions technologiques ou tous départs inattendus sont des facteurs qui peuvent entrainer une perte des connaissances organisationnelles (Levallet et Chan, 2019). Pour contrer ces intempéries, il est important pour les organisations de protéger son savoir organisationnel.

Or, qu’est-ce que la rétention du savoir organisationnel et pourquoi est-il (SI) important de s’y pencher? En fait, elle se produit lorsque les connaissances d’un acteur organisationnel ont été transférées à l’organisation et peuvent donc y être réutilisées dans le futur, ce même si leur détenteur initial devait quitter l’organisation. Le cas contraire, les conséquences résultant de l’intra et inter mobilité des experts – c’est-à-dire les employés dont l’expérience et les connaissances de l’organisation sont significatives – peuvent être importantes pour les organisations. Notamment, la perte de savoir organisationnel peut être extrêmement couteuse pour une organisation et générer une diminution des capacités productives, de la crédibilité auprès des clients et de leur satisfaction en retour. On dénote alors une diminution de la profitabilité et du moral chez certains employés. 

Dans le monde du travail, les organisations sont vulnérables vis-à-vis leur environnement. Cette vulnérabilité est principalement liée à leur capacité d’obtenir et de retenir les ressources qui lui sont nécessaires pour opérer efficacement. Parmi celles-ci, on compte évidemment le capital humain, mais également et de façon toute aussi importante, le savoir (Rouleau, 2007). Dans une certaine mesure, la capacité d’une organisation à retenir ses ressources dépend des facteurs environnementaux auxquels elle est confrontée (économiques, sociopolitiques, etc.). Entre autres, ces facteurs peuvent être contraignants ou non, et c’est la capacité de l’organisation à contrôler ses ressources qui déterminera la nature contraignante de son environnement (Rouleau, 2007). Par conséquent, il revient aux gestionnaires de s’assurer des moyens pour réduire la dépendance de leur organisation envers l’environnement en assurant la rétention de ses ressources à l’interne. Ceci est particulièrement vrai pour les connaissances qui sont à la source de leur pratique. À partir de l’étude des auteures canadiennes Levallet et Chan (2019), nous proposons des pistes de solution pour garantir la rétention du savoir organisationnel, tout en minimisant les risques de perturbation de celui-ci.

Comment les retenir? 

Évidemment, toutes méthodes relatives à l’observation, à la participation, aux groupes de discussion et aux pratiques post-mortem (leçons apprises, etc.), sont des stratégies pouvant supporter la rétention du savoir en organisation. Or, de plus en plus, on considère les technologies de l’information (TI) comme des catalyseurs de la rétention du savoir (Levallet et Chan, 2019). Ces méthodes et technologies sont donc des mécanismes de transfert des connaissances (MTC), c’est-à-dire des canaux par lesquels les connaissances peuvent être retenues et réutilisées. L’objectif d’un mécanisme de transfert des connaissances est en conséquence d’assurer la rétention des connaissances en organisation. D’ailleurs, la rétention des connaissances se présente comme un cycle – autrement dit un processus qui doit être continuellement maintenu au sein des organisations. En lien avec la littérature sur la gestion du savoir (De Long et Fahey, 2000), nous proposons d’illustrer le cycle de la rétention des connaissances, et donc des étapes clés qui le constituent, dans la figure ci-dessous.  

Ainsi, et après avoir cerné d’abord les connaissances importantes à retenir puis leur détenteur, il devient important de mobiliser les mécanismes adéquats pour le transfert de celles-ci. Bien que les systèmes de gestion des connaissances soient reconnus pour permettre d’améliorer les performances organisationnelles et individuelles, il importe en premier lieu de bien les choisir. Pour déterminer quel mécanisme convient le mieux à vos besoins, il faut d’abord reconnaître le type de connaissances à retenir. Conséquemment, nous proposons ci-dessous une typologie des connaissances relatives au monde du travail, pour ensuite proposer les mécanismes de rétention qui y sont les mieux adaptés. Tirée de Levallet et Chan (2019), la typologie suggère deux grandes catégories de connaissances, à savoir explicites, qui renvoient aux connaissances objectives, techniques et logiques, facilement codifiables et donc transférables, puis implicites, c’est-à-dire les connaissances plus subjectives issues de l’expérience et qui, ne pouvant être aisément retranscrites ou codifiées, sont plus difficilement transférables.  

Sous chacune de ces deux catégories principales, on regroupe deux niveaux de connaissances, à savoir individuel et collectif (social). Voyons voir comment le savoir s’articule sous chacune de ces sous-catégories, et quels sont les mécanismes de transfert adéquats pour chacune d’elles.  

Connaissances explicites (objectives, logiques, techniques – facilement transférables) 

Niveau individuel : connaissances conscientes

  1. Expériences et connaissances individuelles explicites 
  2. Mécanismes de transfert adéquats : notes, dossiers papier, dossiers numériques, boîte de courriels, classeurs de type Excel, base de données individuelle, etc. 

Niveau social : connaissances objectives 

  1. Connaissances collectives pouvant être capturées et codifiées 
  2. Mécanismes de transfert adéquats : bases de données organisationnelles, référentiels, guides et procédures, formations, dossiers partagés (style sharedrive, wikis), etc. 

Connaissances implicites (subjectives, cognitives – difficilement transférables) 

Niveau individuel : connaissances automatiques

  1. Habitudes et connaissances individuelles latentes ou implicites  
  2. Mécanismes de transfert adéquats : activités individuelles (one-on-one) observation directe, mentorat, discussions individuelles, formations individuelles, préservation des courriels, etc.  

Niveau social : connaissances collectives

  1. Connaissances culturelles, implicites et ancrées dans les normes sociales 
  2. Mécanismes de transfert adéquats : discussions et rencontres informelles, travail d’équipe, comités de travail, plateforme sociale d’entreprise (style Yammer, Teams), site web d’entreprise et réseaux sociaux, etc.  

Évidemment, et alors que certains mécanismes ont été regroupés sous des catégories spécifiques de connaissances, ils peuvent aussi favoriser la rétention d’autres types de savoir. Par exemple, l’observation est une stratégie qui permet de retenir des connaissances explicites comme implicites, et n’est donc pas spécifique à cette dernière catégorie. Enfin, la typologie proposée n’est pas exhaustive, et certains mécanismes sont plus efficaces dans certains contextes : votre travail est de savoir les différencier, selon les besoins en rétention de votre organisation.  

Pour conclure, la connaissance organisationnelle repose fondamentalement sur l’humain. Ainsi, c’est en interagissant les uns avec les autres que se développe le savoir organisationnel. Au cours des dernières années, plusieurs organisations se sont vues dépourvues de connaissances, et ont donc connu d’importants bouleversements causés par leur environnement et leur incapacité à retenir les ressources nécessaires pour y faire face. Cette transformation économique du savoir et des connaissances ne fait que témoigner de la place centrale qu’occupent les talents comme avantage compétitif dans un environnement marqué par l’innovation et le changement. 

Et puis, la rétention du savoir organisationnel, importante ou non? 

 
Audrey-Ann Tully de Cotret, M.SC., PHD (CDT)

Chef de pratique adjointe, Académie

Références

Chartrand-Beauregard, J., Gingras, S. et Hébert, G. (2005). L’économie du savoir au Québec. Québec : Ministère du développement économique, de l’innovation et de l’exportation, Direction de l’analyse économique et des projets spéciaux.

De Long, D. W. et Fahey, L. (2000). Diagnosing cultural barriers to knowledge management. Academy of Management Executive, 14(4), 113-127.

Dosi, G., Faillo, M. et Marengo, L. (2008). Organizational Capabilities, Patterns of Knowledge Accumulation and Governance Structures in Business Firms: An Introduction. Organization Studies, 29(8-9), 1165-1185. https://doi.org/10.1177/0170840608094775

LaFayette, B., Curtis, W. C., Bedford, D. A. D. et Iyer, S. (2019). Knowledge economies and knowledge work. Emerald Publishing Limited.

Laroche, G. (2002). Économie du savoir : mythe ou réalité? Dans C. d. e. t. s. l. e. e. l. technologie (dir.). Montréal : CETECH, Direction de la planification et de l’information sur le marché du travail.

Levallet, N. et Chan, Y. E. (2019). Organizational knowledge retention and knowledge loss. Journal of Knowledge Management, 23(1), 176-199. https://doi.org/10.1108/jkm-08-2017-0358

Pyrko, I., Dorfler, V. et Eden, C. (2017, Apr). Thinking together: What makes Communities of Practice work? Hum Relat, 70(4), 389-409. https://doi.org/10.1177/0018726716661040

Rezny, L., White, J. B. et Maresova, P. (2019). The knowledge economy: Key to sustainable development? Structural Change and Economic Dynamics, 51, 291-300. https://doi.org/10.1016/j.strueco.2019.02.003

Rouleau, L. (2007). Théories des organisations. Presses de l’Université du Québec.