11 août 2021
Par : Andréanne Thibault

Intelligence artificielle et marché du travail : Quand les deux font la paire

Très jeune, après avoir visionné le film Le 5e Élément, je me souviens avoir rêvassé qu’un jour les autos voleraient. Je me voyais survoler les nuages à bord du véhicule familial pour aller faire nos emplettes du dimanche. J’étais déjà persuadée que le futur nous réserverait bien des surprises (notons ici qu’à l’époque, « l’an 2000 » était déjà le futur à mes jeunes yeux d’enfant).

Bon, vous allez dire que ce n’est pas arrivé, certes. Je vous l’accorde. Ceci étant dit, certaines automobiles qualifiées « d’autonomes » peuvent désormais se conduire seules. Anticiper les obstacles, les contourner, freiner, accélérer, suggérer un itinéraire alternatif pour vous permettre de regarder les nouvelles via votre écran d’auto. Elle peut même venir vous chercher à votre porte. On est bien loin du lecteur cassette et de l’allume cigarette ! Si ce n’est pas du génie, c’est sûrement de la magie !

Pourtant, bien qu’on ne puisse toujours la percevoir concrètement et physiquement comme un robot ou une voiture autonome, l’intelligence artificielle est déjà bien implantée dans multiples sphères de vos vies. Vous n’arrivez pas à la voir ? Laissez-moi vous rafraîchir la mémoire avec ces quelques exemples :

  • Téléphones intelligents : courriels, musique, appareil-photo, GPS, vous serez surpris d’apprendre qu’il est également possible d’appeler quelqu’un avec (!) ;
  • Montres intelligentes : « Levez-vous. Marchez. Vous avez dépensé 1287 calories et marché 10 000 pas aujourd’hui, bravo ! » ;
  • Domotique : oui oui, parce que tamiser les lumières soi-même nous prenait trop de temps (je blague, je maintiens que je trouve cela fascinant) ;
  • Google home : « OK google, sors-moi une recette de linguines sauce rosée de Ricardo s.v.p. ! » ;
  • Facebook et autres médias sociaux divers : Instagram, LinkedIn, TikTok, etc. ;
  • Siri : peut répondre à diverses demandes ;
  • Netflix : vous suggère des films et séries basés sur vos préférences ;
  • Applications de rencontres : vous suggère des profils basés sur vos critères (ex : Tinder) ;
  • Services : un robot répond aux questions les plus fréquentes posées par les clients ;
  • Aspirateur robot : il contourne lui-même les obstacles et vous sauve un temps précieux – take my money !

L’IA dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre

Personne ne peut le nier, l’intelligence artificielle progresse à une vitesse phénoménale. C’est bien plus que du progrès : c’est une révolution. Gare à ceux qui ne suivront pas le pas, employés tout comme employeurs.

Une des critiques les plus répandue envers l’IA est la crainte de son impact sur le nombre d’emplois disponibles et la qualité de ceux-ci. Selon le Forum économique mondial, en 2025, 52 % du travail sera fait par des machines et 48 % par des humains*. Une autre étude de l’Université d’Oxford, produite en 2014 par les chercheurs Carl Benedikt Frey et Michael A. Osbourn, a statué que 47 % des emplois seraient automatisés dans un horizon de dix à vingt ans*. Près de la moitié, c’est majeur ! Puisque l’humain est naturellement craintif face à ce qu’il ne connait pas, on ne peut le blâmer d’avoir peur face à de telles statistiques…

Pourtant, malgré ce qui précède, la pénurie de main-d’œuvre est sur toutes les lèvres et ce, dans tous les domaines. Le marketing produit a cédé sa place au marketing RH, les entreprises n’ayant déjà pas assez de personnel pour répondre à la demande actuelle… Tous tentent de tirer leur épingle du jeu et trouver leur propre « saveur » ou « marque employeur » en usant de créativité pour se distinguer du lot (boni à la signature, prime de référencement, repas gratuits, salle d’entraînement, voyage payé après probation, alouette !). Les employés de talents sont désormais un avantage concurrentiel et vos compétiteurs dans cette chasse aux talents ne sont plus seulement ceux de votre domaine, ils sont partout ! Des entreprises engagent maintenant non seulement sans CV, expérience, sans entrevue ! Tu as deux bras deux jambes ? Tu commences demain !

L’époque où une entreprise recevait des dizaines de CV pour un poste et pouvait se donner le « luxe » de prendre plusieurs semaines avant de contacter un candidat semble bien lointaine…

Faire face à la nouvelle réalité

La main-d’œuvre d’aujourd’hui est bien plus mobile qu’auparavant et a des besoins différents. Elle est née avec la technologie entre les mains et leur cerveau aime et veut être stimulé. Elle veut apprendre, évoluer, être reconnue et sentir qu’elle fait une différence. Bref, elle cherche bien plus qu’un salaire (la preuve étant que multiples emplois très bien payés ne trouvent pas preneurs). Entre autres, elle ne souhaite pas occuper un poste répétitif et routinier comme les générations précédentes où faire une même tâche jour après jour, semaine après semaine était la norme. Difficile de les blâmer quand on y pense ?

Dans ce contexte, pourquoi ne pas voir l’IA comme alliée plutôt que comme l’ennemie à abattre ? Pourquoi ne pas voir ce qu’elle a de bon à apporter comme solutions au problème ?

En effet, l’évolution de l’IA risque de mettre fin à plusieurs types d’emplois, principalement ceux reliés à des tâches cléricales et répétitives, permettant à la main-d’œuvre de se consacrer à des tâches à valeur ajoutée plus intéressantes et stimulantes. Autrement dit, permettre aux employés de faire une différence réelle tout en étant bien plus efficaces, précisément ce qu’ils recherchent !

Des emplois transformés, des emplois perdus qui donneront naissance à d’autres, évidemment beaucoup de changements à l’horizon. Mais ne serait-ce qu’au plan même de l’industrie croissante reliée à l’IA, des centaines de milliers de travailleurs sont et seront nécessaires pour développer et maintenir cette industrie (programmeurs, ingénieurs, informaticiens, etc.). Il s’agit sans aucun doute d’un métier d’avenir et la quête aux talents pour cette industrie ne risque pas de s’essouffler !

Les nombreux impacts sur la gestion des ressources humaines

Analytique RH

La tendance croissante vers l’analytique RH est fortement simplifiée par l’avenue de divers logiciels permettant de mieux comprendre, expliquer et prédire l’avenir de la main-d’œuvre d’une organisation. Le taux de roulement de personnel, le nombre de jour d’arrêt de travail, le taux d’absentéisme, le taux de satisfaction de la main-d’œuvre, les causes de départ, les prévisions de retraites et j’en passe. Le qualitatif se transformant en quantitatif, passant du réactif au prédictif de façon bien plus efficace et précise, facilitant ainsi grandement la prise de décisions.

Développement de la main-d’œuvre

Les compétences à développer par les employés évolueront-elles aussi au gré des progrès technologiques, mettant ainsi au premier plan le développement de la main-d’œuvre comme élément concurrentiel.

Sélection du personnel

Au niveau de la sélection, elle permet de mieux catégoriser les individus en perfectionnant les tests de classification déjà existants*. Au-delà de l’évidente économie de temps et d’argent par l’automatisation de diverses tâches, ici aussi les professionnels RH auront la possibilité de se concentrer sur des mandats plus stimulants et être plus proactifs, passant maintenant plus que jamais dans un rôle stratégique clé.

Bien entendu, plusieurs questions demeurent, notamment au plan éthique et légal, telles que celles concernant le droit à la vie privée, la relation humain-machine, la possibilité de croissance des inégalités sociales (puisque ceux ayant les moyens de se procurer l’IA risquent d’en bénéficier davantage que les autres classes sociales).*

Est-ce que nous atteindrons un jour un niveau où l’intelligence artificielle pourra réellement et complètement remplacer l’humain ? Incarner l’empathie et les émotions requises dans diverses situations ? Est-ce que nos peurs devraient freiner l’innovation jusqu’à ce qu’on en sache plus ? Personnellement, je suis de celle qui avance dans la peur et s’adapte. Je crois que nous devrons tous jouer un rôle et permettre que le progrès technologique que représente l’IA puisse se faire main dans la main avec l’humain. Après tout, c’est lui qui l’a mise au monde.

 
Andréanne Thibault, CRIA

Leader Talents & Culture / Consultante principale

Références

Oxford Martin Programme on Technology and Employment. 2013. ‘The Future of Employment’. University of Oxford. En ligne.

https://www.oxfordmartin.ox.ac.uk/downloads/academic/future-of-employment.pdf

 

Commission de l’éthique en Science et en Technologie. 2019. ‘ Les effets de l’intelligence artificielle sur le monde du travail : Document de réflexion’. Gouvernement du Québec. En ligne.

https://www.ethique.gouv.qc.ca/media/hqepc3fm/cest_effets_intelligence_artificielle_travail_a.pdf

 

Desaultels, Geneviève. 2020. ‘Bon sang, arrêtons de faire l’autruche!’ Les Affaires, édition : Des stratégies pour contrer la pénurie de talents. 2021