21 septembre 2011

Gestion des talents et potentiel (4)

Les trois premiers articles de cette série ont présenté le contexte d’émergence et certaines définitions de la gestion du talent, les définitions ou composantes des termes « talent » et « potentiel », les caractéristiques des employés à haut potentiel ainsi qu’un modèle pour favoriser l’identification des employés « A ». Ce quatrième et dernier article présente certaines réflexions et critiques à l’égard de l’approche de gestion des talents.

Avec l’engouement pour la gestion des talents des dernières années, de plus en plus d’écrits tentent de cerner et d’expliquer les concepts qui lui sont associés comme la notion de potentiel. À cet égard, Silzer et Church (2009) ont développé un modèle pratique des dimensions associées au potentiel. D’autre part, Robinson et ses collaborateurs (2009) ont proposé la pyramide du potentiel pour guider les décideurs dans l’identification du potentiel de leurs employés. Bien que ces travaux constituent des points de départ pratiques pour quiconque veut identifier les employés à haut potentiel dans son organisation, ces derniers n’ont pas fait l’objet de validation empirique. Ceci soulève plusieurs questions. Par exemple, après combien de temps les organisations devraient-elles réévaluer le potentiel de leurs employés afin d’être le plus efficace possible? Au-delà de la prise en compte de caractéristiques organisationnelles comme la mission et les valeurs, quelle démarche permet d’identifier avec justesse les postes clés ou de prédire ceux qui le seront dans le futur? Comment les expériences de travail et la culture organisationnelle affectent le potentiel des individus? Les auteurs semblent s’entendre sur l’importance de considérer le rendement et les comportements passés (Robinson et coll., 2009). Qu’en est-il lors de l’évaluation du potentiel des jeunes employés, parmi lesquels il est également possible de retrouver de hauts potentiels?

Un autre enjeu de la gestion des talents revient à l’identification même des employés à haut potentiel. Bien que les auteurs aient identifié des caractéristiques et des moyens pour identifier les individus, comment peut-on identifier, mesurer ou prédire le potentiel si ce dernier existe en puissance et non en acte? Selon la gestion des talents, on tente de prédire la direction et la vitesse d’un changement possible chez un individu. Afin de le prédire, il serait nécessaire de connaître autant le point A (l’état et les caractéristiques actuels de l’individu) que le point B (l’état et les caractéristiques que l’organisation juge adéquats pour avoir du succès dans un poste clé). Cependant, il est impossible de prédire parfaitement l’évolution d’un poste et encore moins ce que l’on doit « faire subir » à l’individu pour qu’il atteigne le point B.

Bref, dix ans après la sortie de « The War for Talent », la gestion des talents a évolué et a répondu à quelques questions fondamentales, surtout sur le plan de la pratique. Par contre, plusieurs autres demeurent en suspend et les chercheurs et les praticiens devront s’y attarder. Il n’est plus à démontrer que le succès et l’avenir des organisations seront déterminés par les talents disponibles au sein de celles-ci. Par ailleurs, les bénéfices de l’intégration stratégique de la fonction RH avec les autres fonctions de l’organisation et de l’intégration des activités de gestion des ressources humaines entre elles sont très importants. Or, le besoin de confirmer scientifiquement les modèles et assertions de cette approche de gestion et les impacts de ses pratiques (comme l’établissement d’une structure RH parallèle pour les employés « A » ou bien l’augmentation vertigineuse des problèmes de santé psychologique au travail) sur les employés eux-mêmes devient de plus en plus pressant. Il en est de même pour l’évaluation du potentiel des employés, spécialité qui demeure peu étayée au plan scientifique, notamment en ce qui concerne sa mesure. D’autre part, les professionnels qui ont proposé l’approche de gestion des talents et ses améliorations subséquentes mettent généralement l’emphase sur l’aspect managérial de l’approche et néglige d’y intégrer de nombreuses connaissances pratiques et scientifiques sur ses activités. Par exemple, les meilleures pratiques d’évaluation du rendement au travail, les meilleures pratiques d’évaluation des compétences, etc. Évidemment, il ne sera pas tâche aisée de construire un modèle de gestion qui intègre explicitement les meilleures pratiques de tous les domaines qui le composent. D’ici là, il est fortement suggéré aux gestionnaires de prendre connaissance non seulement des avantages de la gestion des talents, mais aussi de ses limites et de chercher à dépasser ces dernières à l’aide d’informations provenant d’autres approches ou modèles. Négliger de le faire pourrait s’avérer très couteux pour une organisation. En bref, le potentiel de l’approche de gestion des talents, même s’il semble très prometteur, reste encore à être déterminé avec exactitude…

Références

Michaels, E., Handfield-Jones, H., Axelrod, B. (2001). The War for Talent. Boston : Harvard Business School Press.

Robinson, C., Fetters, R., Riester, D., & Bracco, A. (2009). The paradox of potential : A suggestion for guiding talent management discussions in organizations. Industrial and Organizational Psychology, 2, 413-415.

Silzer & Church. (2009). The pearls and perils of identifying potential. Industrial and Organizational Psychology, 2, 377-412.