17 août 2011

Gestion des talents et potentiel (2)

Dans le premier article de cette série sur la gestion des talents et le potentiel, nous avons exposé brièvement les circonstances qui ont favorisé l’émergence de l’approche de gestion des talents. Par la suite, nous nous sommes attardés sur les objectifs et la définition de cette approche. Pour leur part, les prochains paragraphes répondront aux questions sur lesquelles s’est conclue la dernière parution de la série : qu’est-ce qu’un employé talentueux? Qu’est-ce que le talent?

 En quoi consiste le talent?

Il n’existe pas de définition reconnue et acceptée, en ce moment, du terme talent (Foucher, 2010). Foucher (2010), dans son nouvel ouvrage « Gérer les talents et les compétences », a recensé plusieurs définitions provenant d’ouvrages comme des dictionnaires, des dictionnaires spécialisés, des articles de revues scientifiques et des livres de gestion des RH. En fait, non seulement il n’y a pas de consensus entre les auteurs, mais certaines définitions semblent même contradictoires ou mélanger des concepts comme talent, performance et potentiel. Par contre, il est possible de dénoter certaines caractéristiques du « talent » (Foucher, 2010). D’abord, le talent fait référence à des composantes profondes de l’être humain; il s’agirait d’une disposition qui influence le développement des compétences. Par ailleurs, les talents servent d’assises aux compétences, mais s’en distinguent. D’autre part, le talent se déploie dans un domaine précis et doit être valorisé pour s’actualiser. De plus, le talent est un don qui facilite l’apprentissage et la performance. Il s’agit donc d’un précurseur de l’excellence. Enfin, les talents que l’individu possède seraient de nature héréditaire, mais peuvent se développer (Foucher, 2010).

Dans la gestion des talents, le terme haut potentiel est souvent utilisé de façon interchangeable avec le terme talentueux (ex. : employés à haut potentiel, employés talentueux). Cependant, le terme potentiel se différencie du terme talent. Le potentiel est ce qui existe en puissance et non en acte; ce qui existe virtuellement; ce qui exprime ce qui est possible, ce qui peut arriver sous certaines conditions (Rey-Debove, J., Rey, A., 2009). Le potentiel réfère à la possibilité, pour un individu, de devenir plus que ce qu’il est présentement (Silzer & Church, 2009). En d’autres mots, le potentiel est la possibilité qu’un individu puisse développer les caractéristiques nécessaires pour atteindre un nouvel état. Ainsi, le talent détermine le potentiel d’un individu qui, à son tour, influence la concrétisation des compétences (Foucher, 2010). Morin, en 2010, recense plusieurs définitions du potentiel humain en milieu de travail. Le potentiel élevé d’un employé peut être vu comme a) la capacité d’occuper des postes de direction ou de cadre intermédiaire; b) la capacité d’offrir un rendement de grande valeur (dans son poste); c) la possibilité de perfectionnement (sa tâche s’enrichit) et d) la possibilité de maîtrise (l’employé demeure au même niveau et effectue la même tâche; est un expert de grande valeur). Dans toutes les définitions relevées, le but ultime est indiqué, à savoir : « le potentiel pour quoi ? » Silzer et Church (2009), dans leur article « The pearls and perils of identifying potential », mentionnent également qu’il est crucial d’être en mesure de répondre à la question « Potentiel pour quoi?» afin de ne pas tomber dans le piège de confondre le potentiel avec l’intelligence générale. Aussi, en précisant l’objet du potentiel, le sujet devient moins sensible : tous les individus ont du potentiel, mais dans des domaines et pour des activités différents (Silzer & Church, 2009).

 Le potentiel pour quoi ?

En 2005, la gestion des talents se transforme : il est non seulement important d’identifier les employés à haut potentiel, mais également les postes stratégiques afin que ces derniers soient comblés par les joueurs « A » (Collings & Mellahi, 2009). Une nouvelle définition émerge :

« La gestion des talents est un regroupement d’activités qui impliquent l’identification des postes clés au sein de l’organisation qui contribuent au maintien d’un avantage concurrentiel, la création de bassins de candidats présentant un haut potentiel afin de combler les postes clés et la mise en place d’une structure parallèle de la GRH pour faciliter l’acquisition et la rétention de ces individus » (Collings & Mellahi, 2009).

Nous savons maintenant qu’il est utopique et non souhaitable de viser à pourvoir tous les postes de l’organisation par des individus à haut potentiel (Morin, 2010). D’abord, il est impossible de trouver autant de joueurs « A ». De plus, de nombreux emplois n’ont qu’un faible impact sur l’efficacité organisationnelle. De ce fait, même si un employé très talentueux occupait un de ces emplois, l’impact au niveau de l’organisation serait négligeable. Finalement, il peut coûter très cher à l’organisation de garder des « A », tant en salaires qu’en avantages (Michaels et coll., 2001). Selon Becker et ses collaborateurs (2009), c’est en différenciant la main-d’œuvre (employés « A », « B » et « C ») et en identifiant les emplois qui contribuent sensiblement à la stratégie d’entreprise (positions « A », « B » et « C ») qu’une organisation établira un avantage compétitif. Henson (2009) abonde dans le même sens : considérant que plusieurs emplois peuvent être stratégiques à l’intérieur d’une organisation, il devient important de constituer plusieurs bassins de talents. Il semblerait que plus de 65% des entreprises utilisant une approche par talent aurait plus d’un bassin d’individus à haut potentiel (Silzer & Church, 2009). Ainsi, chaque bassin de haut potentiel répond à la question « potentiel pour quoi ? ». Le prochain paragraphe abordera la façon d’établir les postes stratégiques, de façon très succincte.

 L’identification des postes stratégiques

 Afin d’établir quels sont les postes clés, il est nécessaire de consulter la mission et les stratégies de l’organisation ainsi que de cibler sur quoi l’organisation mise afin de se distinguer de ses concurrents (Becker et coll., 2009; Huselid et coll., 2005). Ainsi, deux organisations ayant la même valeur principale, soit la satisfaction de la clientèle, peuvent contenir des postes stratégiques différents. Prenons comme exemple une entreprise qui voudrait s’assurer que ses clients reçoivent un service personnalisé. Cette organisation identifiera les postes de premier niveau qui demandent une interaction avec la clientèle comme étant des postes clés. Par contre, une entreprise comme Costco, qui vise la satisfaction de la clientèle en offrant une variété de produits à très bon prix, déterminera plutôt des postes d’acheteurs comme étant stratégiques. Becker et ses collaborateurs (2009) soutiennent que ce sont ces positions, les emplois A, qui offrent l’occasion d’accroître la richesse des actionnaires, et dans lequel le plus grand investissement doit être fait. Les emplois B sont étiquetés comme des postes de soutien tandis que les postes excédentaires,  qui ont généralement peu d’impact économique, sont considérés comme des emplois C. Ainsi, un même employé pourrait être un acteur clé dans une organisation et ne pas l’être dans une autre. Ceci est également le cas lorsqu’une entreprise change ses valeurs, ses objectifs ou sa mission.

Le prochain article de cette série sur la gestion des talents et le potentiel sera consacré à l’identification des employés à haut potentiel. En effet, nous y verrons sommairement quelles sont les caractéristiques individuelles des employés à haut potentiel ainsi que les étapes nécessaires à l’identification des joueurs « A ».

Philippe Longpré, Ph.D. Cdt.

Marilyne Pigeon, Ph.D. Cdt.

Références

Becker, B.E., Huselid, M.A., & Beatty, R.W. (2009). The differentiated workforce: Transforming talent into strategic impact.

Collings, D.G., & Mellahi, K. (2009). Strategic talent management : A review and research agenda. Human resource management review, 19, 304-313.

Foucher, R. (2010). Gérer les talents et les compétences : principes, pratiques, instruments. Tome 1 : Fondements de la gestion des talents et des compétences. Montréal : Éditions nouvelles.

Henson, R.M. (2009). Key practices in identifying and developing potential. Industrial and Organizational Psychology, 2, 416-419.

Huselid, M.A., Beatty, R.W., & Becker, B.E. (2005). « A Players » or « A Positions”? The strategic logic of workforce management. Harvard Business Review, décembre, 1-8.

Michaels, E., Handfield-Jones, H., Axelrod, B. (2001). The War for Talent. Boston : Harvard Business School Press.

Morin, D. (2010). Rendement et potentiel élevés : essentiels à la gestion des talents. Consulté surwww.portailrh.org/effectif/fiche.aspx?p=403222.

Rey-Debove, J., Rey, A. (2009). Le Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris : Dictionnaires Le Robert.

Silzer & Church. (2009). The pearls and perils of identifying potentiel. Industrial and Organizational Psychology, 2, 377-412.