26 mai 2022
Par : Vicki-Anne Rodrigue

Culture organisationnelle toxique : lorsqu’un changement s’impose

Une étude récente menée par la Standford University qui a résulté dans la publication d’un livre intitulé Dying for a Paycheck (Pfeiffer, 2018) a révélé qu’un climat de travail toxique était la cinquième cause de décès parmi la population d’employés américains. L’étude en question a conclu que la surcharge de travail, le stress et l’intimidation pourraient conduire à la violence au travail, à la toxicomanie, aux problèmes de sécurité et au suicide. Il est donc essentiel pour tout employeur de s’assurer d’un climat de travail sain et d’une culture organisationnelle positive ou il fait bon vivre et travailler.  

Nous nous souviendrons sans doute de la démission de Julie Payette survenue le 21 janvier 2021, à la suite d’une enquête indépendante lancée par le Bureau du conseil privé suivant des allégations d’un climat de travail toxique. En effet, le rapport indiquait que les employés devaient endurer ou être témoins de hurlements, de comportements agressifs, de commentaires dégradants et d’humiliations publiques et que 75 % des 92 participants décrivaient le milieu de travail comme étant « hostile » ou « négatif » voire « toxique » ou « empoisonné ». Dans ce genre de contexte, toute organisation qui souhaite améliorer les choses doit d’abord s’intéresser à la question de la culture organisationnelle qui correspond généralement à l’ensemble des croyances, des valeurs, et des attitudes d’une organisation, et comment celles-ci influencent le comportement des employés. C’est seulement à la suite de cette prise de conscience que la gestion d’un changement, alignée sur un diagnostic clair des éléments menant au climat organisationnel toxique observé, devient une solution pertinente.  

Pourquoi?

Un climat organisationnel toxique, où règnent la discrimination, le harcèlement et la violence ne date pas d’hier. La question proverbiale se pose alors : pourquoi ? Pourquoi un employeur, qu’il soit de haute visibilité ou non, permet un climat de travail toxique, qui entraine alors une culture organisationnelle malsaine, une expérience employée appauvrie, une productivité réduite engendrant des conséquences négatives sur leurs résultats et leurs recettes, menant donc à une image affaiblie et une réputation salie? 

Pouvoir et responsabilité

« Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument » a déclaré avec justesse John Emerick Edward Dalberg-Acton. La question du « pouvoir » a longtemps été étudié et un lien direct a été observé entre le pouvoir et le sentiment de responsabilité. La responsabilité est un sentiment d’obligation d’agir d’une manière qui profitent aux autres (Handgraaf et al., 2008 ; Krebs, 1970 ; Pearce & Gregersen, 1991 ; Smith, Organ, & Near, 1983 ; Tost et al., 2015). Les recherches ont démontré que plus une personne est consciente de sa responsabilité envers autrui, plus elle utilisera des comportements prosociaux et agentiques. Vis-à-vis des situations plutôt délicates qui pourraient potentiellement mettre l’individu dans l’embarras, une personne qui est consciente de son obligation aura tendance à se responsabiliser davantage et se tenir imputable de façon à corriger la situation. Inversement, une personne qui n’est pas en contact avec elle-même, qui n’est pas consciente de sa responsabilité envers les autres, risque de ne pas adopter des comportements prosociaux ou agentiques et risquera de ne pas se tenir responsable de ses comportements, surtout ceux qui sont inappropriés.

Confronter le pouvoir par la vérité (speaking truth to power)

Confronter le pouvoir par la vérité est une tactique politique non violente, employée par des individus, souvent caractérisés comme des « dissidents » ou des « rebelles » et qui jugent que le gouvernement de leur pays est oppressif, autoritaire, ou idéocratique. L’expression est depuis longtemps reconnue dans la culture populaire et de plus en plus de gens sont appelés à confronter le pouvoir par la vérité, dans le but constant de s’assurer que les comportements organisationnels des hauts dirigeants sont prosociaux et profitent à la grande majorité. Or, le Ottawa Citizen a publié un article récent mettant en lumière une étude menée par l’organisation Top of Mind qui a révélé que les dirigeants de la fonction publique du Canada ont du mal à dire la vérité à leurs patrons politiques, préférant leur dire ce que ces derniers veulent entendre et non pas ce dont ils ont besoin d’entendre. Question intéressante, s’il en est. Pourquoi donc craindre de dire la vérité ? Serait-ce par manque de conscience du sentiment de responsabilité ? D’un manque de bonne volonté de vouloir se conformer aux codes, politiques, ou lois du pays ? Ou encore, serait-ce par crainte des représailles ?

Peur des représailles

Nous entendons par « représailles » toute action négative qui serait exercée envers une personne qui porte plainte vis-à-vis une autre personne, par exemple lorsqu’un employé porte plainte contre son employeur pour motif de harcèlement. Conséquemment, lorsqu’il s’agit de porter plainte, la peur des représailles est très présente et affecte tous les groupes d’âge, d’ethnies, de genre, etc. À la suite d’une plainte, des représailles pourraient être de nier une demande de congé à un employé, de se rétracter d’une promesse (par ex : ne pas lui donner l’augmentation salariale ou la promotion promise), ou de ne pas effectuer une évaluation de rendement de façon appropriée (par ex. faire échouer toutes les compétences ciblées ou encore d’évaluer un employé en fonction de leurs traits de personnalité et non pas en fonction de leur rendement). Il est important de noter qu’il est illégal de faire subir des représailles et, lorsque le cas est connu, d’effectuer des interventions afin de pouvoir mettre fin aux représailles. C’est pour cette raison qu’il existe des lois, politiques, procédures et lignes directrices pour qui s’opposent aux représailles en réponse aux plaintes déposées en bonne foi des employés qui sont divulgateurs d’actes repréhensibles. Encore faut-il que tous ces encadrements soient adéquatement appliqués!

Traits de personnalité, conscience de soi, traumatisme et psychopathologie des dirigeants

Les explications de type plus « humaines » doivent également être envisagées lorsque nous pensons à un climat de travail toxique. Pourquoi? Parce que les dirigeants sont les premiers responsables de l’environnement de travail qu’ils créent. En effet, et selon la clinique Mayo, la personne à qui vous vous rapportez au travail est plus importante pour votre santé que votre médecin de famille. Conséquemment, afin de bien diriger et d’instaurer un climat de travail sain, les dirigeants doivent avoir certains traits de personnalité propices à un leadership sain et motivant. Outre les traits de personnalité, il importe que les leaders possèdent des niveaux plus élevés d’intelligence émotionnelle, en particulier une conscience de soi très approfondie afin de comprendre leur histoire et comment celle-ci les affecte, leurs points déclencheurs, leurs croyances, valeurs, émotions et comment celles-ci ont un impact sur leurs comportements et la gestion des relations.  

Par ailleurs, il serait important de prendre en considération les répercussions liées à des traumatismes quelconques qu’auraient subi les dirigeants et pour lesquels ils n’auraient pas eu un traitement adéquat. En effet, nous notons entre autres l’épuisement, la confusion, la tristesse, l’anxiété, l’agitation, l’engourdissement, la dissociation, la confusion, l’excitation physique et l’émoussement des affects comme réactions initiales aux expériences traumatiques. Si une personne, surtout en position de leadership, subit un traumatisme et n’a pas les soins nécessaires pour l’aider à guérir, il peut en résulter des comportements plus épineux, surtout en milieu de travail, comme des réactions émotionnelles fortes et inappropriées lorsque des éléments déclencheurs se produisent au travail. 

Enfin, il ne faut pas négliger non plus les problèmes de la santé mentale. Quoiqu’une personne ayant un diagnostic de maladie mentale pourrait être très fonctionnelle à l’aide d’un plan de traitement optimal, inversement, une personne avec un problème de la santé mentale qui n’est pas bien soignée et qui se trouve en position d’autorité pourrait provoquer un climat de travail toxique. Prenons l’exemple d’un leader qui a un trouble de la personnalité narcissique. Ce type de leader pourrait être la cause d’un milieu de travail toxique car leur leadership reposerait sur le narcissisme. Ces personnes sont généralement dominantes, hostiles, arrogantes, mues par le pouvoir et les accomplissements, ayant un grand besoin d’être admirées, incapables d’accepter la critique, d’écouter activement les autres, de faire preuve d’empathie, de construire des relations saines et d’être conséquentes. Rassemblés, tous ces éléments sont la recette par excellence pour un climat de travail toxique, car les comportements de ces leaders peuvent souvent être erratiques et inappropriés.  

Conclusion

Est-il donc raisonnable de croire que les déboires causés à Rideau Hall étaient le résultat de l’un ou l’autre ou encore de l’ensemble des éléments mentionnés dans cet article? Il serait faux d’avancer de telles affirmations ou d’en conclure une cause à effet sans s’appuyer sur des sources sûres. Néanmoins, ce sont des hypothèses qui méritent d’être considérées lorsque nous tentons d’effectuer un diagnostic organisationnel pour en arriver à la gestion du changement afin de régler un climat de travail toxique. Toute stratégie ou tentative de résoudre un climat de travail toxique pour assurer une culture organisationnelle saine est louable. Or, comme tout traitement médical, il faut en comprendre d’abord la cause avant d’apporter des solutions, sinon l’histoire se répétera inévitablement.    

Vicki-Anne Rodrigue
 
Vicki-Anne Rodrigue, M.Ed., CCC

Consultante principale, Gestion des talents et leader, Évolution des talents chez EPSI